Comment les entreprises européennes contournent les sanctions en Crimée
- Bolson Flex
- 18 sept. 2017
- 3 min de lecture

« Face à n’importe quelle interdiction, les acteurs économiques trouveront de nouvelles échappatoires et voies détournées. »
Deux entreprises hollandaises sont soupçonnées d’avoir livré de l’équipement en Crimée en violant le régime des sanctions contre la Russie, rapportent les médias hollandais, mi-septembre. Début juillet, des informations semblables circulaient sur le groupe allemand Siemens. Tour d’horizon de Kommersant.
Les deux sociétés hollandaises auraient fabriqué et assemblé des composants destinés à l’équipement utilisé dans la construction du pont du détroit de Kertch, qui doit relier la péninsule de Crimée à la Russie continentale. En cause : un marteau spécifique, destiné à l’installation des piliers du pont.
L’entreprise Biljard Hydrauliek aurait fabriqué une des pièces principales du dispositif, et le groupe Dematec Equipment l’aurait assemblée et livrée dans la péninsule de Taman. Celle-ci, située dans la région russe de Krasnodar, est séparée de la péninsule de Kertch, en Crimée, par le détroit de Kertch. Les deux entreprises sont ainsi accusées d’avoir enfreint le régime des sanctions, qui interdit à toute compagnie européenne de vendre du matériel ou participer à des projets en Crimée depuis son rattachement à la Russie.
Pour Alexander Frolov, directeur adjoint de l’Institut russe de l’énergie nationale, cette nouvelle ne serait en aucun cas étonnante si elle s’avérait vraie. À l’en croire, les entreprises européennes n’ont jamais eu l’intention de perdre les avantageux contrats liés à la Crimée depuis la crise ukrainienne.
« On en a parlé dès 2014 et l’adoption des sanctions : il était dès lors évident que les Européens chercheraient à tout prix à rester présents sur le marché russe et continueraient de travailler avec la Crimée – tout simplement parce que c’est juteux. Imaginez, on vient vous voir et on vous dit : Les amis, il nous faut tel ou tel équipement. Et vous, vous allez tourner le dos ? Évidemment que non », a-t-il expliqué à Kommersant FM.
La piste russe
Situation comparable : en juillet 2017, on a découvert en Crimée des turbines de gaz fabriquées par Siemens. Le groupe allemand avait alors déclaré avoir vendu ses turbines à une « filiale » de la corporation publique russe Rostec, à la condition que celles-ci soient utilisées dans la péninsule de Taman.
Les deux entreprises hollandaises se défendent également d’avoir enfreint le régime de sanctions, la première affirmant qu’elle s’est contentée de fournir de l’équipement sans savoir à qui il était finalement destiné, et la deuxième soulignant que tous les travaux étaient effectués sur le territoire de la Fédération.
Selon l’expert indépendant Dmitri Lioutiaguine, un tel mécanisme de contournement des sanctions aurait pu être élaboré par les Russes.
« Les schémas de ce genre sont probablement inventés avec l’aide de juristes et de cercles d’affaires russes de l’étranger. Et on ne peut pas dire qu’ils soient illégaux – ce n’est pas la Russie qui a adopté ces sanctions contre elle-même. Simplement, les entreprises européennes souhaitent continuer de vendre en Russie sans que cela n’affecte le reste de leur activité dans d’autres États », affirme-t-il, cité par Kommersant.
L’UE au tournant
Pour Andreï Kolganov, toutefois, directeur du laboratoire des études comparées des systèmes économiques de la faculté d’économie de l’Université d’État de Moscou (MGU), les autorités européennes, suite à ces fuites, risquent de durcir le contrôle, voire de limiter l’activité de certaines entreprises.
« Les dirigeants politiques européens ne peuvent pas fermer les yeux sur le fait que les sanctions sont contournées, ils vont prendre des mesures. À mon avis, dans le pire des cas, ces mesures pourraient toucher les intérêts de certaines entreprises concrètes et leur compliquer la vie. Cependant, les gouvernements ne pourront probablement pas avoir d’influence substantielle sur les liens économiques russo-européens, étant donné que face à n’importe quelle interdiction, les acteurs trouveront de nouvelles échappatoires et voies détournées. Par le biais, par exemple, d’une très longue chaîne d’intermédiaires – ce que personne n’a encore interdit. La société peut dire qu’elle a vendu sa production à l’Uruguay, qui l’a revendue à un quelconque Cap-Vert, qui, à son tour, l’a encore vendue à on ne sait qui. Et que personne n’a la moindre idée de comment la marchandise s’est finalement retrouvée en Russie… », estime-t-il.
Le gouvernement hollandais a déjà annoncé son intention d’enquêter sur la légalité de la participation des deux entreprises à la construction de pont du détroit de Kertch.
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